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Société
10 octobre 2014 14 h 17

Manger de l’argent

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N’en déplaise à Mme la préfète de la MRC de Rocher Percé, l’article du Journal de Québec qualifiant la Cimenterie McInnis de Port-Daniel de « Poubelle de l’Amérique » représente malheureusement le scénario le plus probable. Je suis loin d’être un ardent défenseur du Journal de Québec, mais dans le cas de cet article, je crois qu’ils ont mis le doigt sur quelque chose d’important.

En tant que société complètement dépendante du pétrole, nous choisissons de fermer les yeux sur bien des problèmes en lien avec cette dépendance. C’est normal. C’est le propre d’une dépendance. Parlez-en aux alcooliques, parlez-en aux toxicomanes, parlez-en même aux gens qui aimeraient bien arrêter de consommer du sucre! Tous les moyens sont bons pour nier le fait que nous soyons dépendants de quoi que ce soit. Et comme toutes dépendances, celle-ci fait souvent beaucoup de dommage avant même que nous prenions conscience de la situation dans laquelle nous nous trouvons. Pour les personnes avec une dépendance à une substance, c’est souvent la famille qui y passe. Dans le cas d’une dépendance planétaire au pétrole, les dommages sont à l’échelle de notre dépendance.

Les « pétroliques » anonymes

Notez s’il vous plaît, que d’aucune façon mon intention ne soit de tomber dans l’ironie ou de diminuer le mouvement des AA (alcooliques anonymes). Au contraire, ce mouvement qui a fait ses preuves pourrait être un des éléments clés de la guérison nécessaire à notre dépendance aux hydrocarbures.

À l’ouverture d’une rencontre des AA, les gens se présentent généralement en se nommant et en ajoutant « je suis alcoolique ». Reconnaître le problème est le premier pas vers une amélioration de la situation. De la même manière que l’alcool utilisé avec modération peut avoir des effets bénéfiques sur la vie d’une personne, ainsi en est-il du pétrole. C’est lorsqu’une saine vie sans l’objet de notre dépendance est impossible qu’il y a problème; et c’est le cas présentement de l’humanité face aux hydrocarbures et plus spécifiquement pour les Canadiens et les Canadiennes.

Pelleter sa neige dans la cour du voisin ou l’avarice inconsciente

L’Ouest canadien et les États-Unis ont eu la « chance » de s’opposer en premier à la sortie du pétrole sale de l’Alberta par leur territoire. Tous les regards se sont alors posés sur l’Est; sur nous. Toute opposition de notre part sera donc perçue comme un affront majeur au développement économique planétaire (si on en croit l’industrie des sables bitumineux). Même s’il faut prendre cette affirmation avec des pincettes, il n’en reste pas moins que les enjeux financiers liés aux sables bitumineux sont majeurs.

Réaliser l’ampleur de la situation n’est pas une partie de plaisir, c’est certain! Mais ne pas vouloir prendre conscience de celle-ci relève carrément du suicide collectif. Ce type de prise de conscience fait aujourd’hui partie du quotidien de bien des humains sur Terre. Et oui, ça vient avec son lot de psychoses et autres maladies mentales modernes. Il faut faire face à tout cela. Il faut vivre avec tout cela. Là où certaines personnes développent des psychoses parce qu’elles ne peuvent s’adapter aux changements majeurs auxquels nous devons faire face aujourd’hui, d’autres y naissent.

J’ai eu la chance cette semaine de rencontrer de ces jeunes personnes et laissez-moi vous dire que si certains d’entre nous « les vieux » n’avons pas encore pris conscience de l’immensité de la situation, ces jeunes, sans exception, sont tout à fait conscients de l’ampleur de la situation. Certains n’ont peut-être pas encore tout le vocabulaire nécessaire à l’expression de leurs sentiments profonds face à la situation, mais croyez-moi, ils savent très bien que quelque chose ne va pas. Ce qu’ils ne voient pas clairement, ou comme le fils ou la fille d’un agresseur, ce qu’ils décident de ne pas voir, c’est que ce sont leurs propres parents qui sont en train de pelleter un beau tas de marde dans la cour de leur futur. Et nous, les parents, comme c’est souvent le cas, trouvons toujours une justification à nos actes. « Un peu de pollution n’a jamais fait de mal à personne », « si on veut de la croissance, il y aura forcément des conséquences », « si ce n’est pas nous, ce sera les Chinois… »

Trouverons-nous la façon de relever l’immense défi auquel nous faisons présentement face?
Si ce « Nous » ne représente que les vieux de 45 ans et plus, la réponse est non! « On ne peut résoudre un problème avec le même type de pensée que celle qui l’a créée », aurait dit Einstein. Saurons-nous, les vieux, utiliser le peu de sagesse qu’il nous reste pour faire face à ces jeunes, « nos » jeunes, chez qui nous pelletons nos problèmes, et prendre le temps d’entendre ce qu’ils ont à nous dire?

Il me semble que nous n’ayons pas à attendre d’avoir coupé le dernier arbre, pollué le dernier ruisseau ou pêché le dernier poisson pour nous apercevoir que l’argent ne se mange pas.